La violence tournée contre les autres ou contre soi-même

L’humiliation et l’auto-humiliation

Un enfant ayant souffert d’humiliation a intégré la certitude d’être inférieur. Il a l’image de lui-même comme n’étant pas digne d’être regardé, se pense inférieur, parfois même s’imagine ne pas être propre. Cette violence a laissé des traces sur son image de lui, son regard sur lui et sur les autres.

Se laissant souvent envahir, il recherche la valorisation et la reconnaissance et se heurte souvent à de la dévalorisation qui le rabaisse et le fait se sentir honteux d’avoir eu envie qu’on le regarde. Il a reçu le message de ne pas être à la hauteur de ce qu’on attend de lui et est souvent rabaissé, car insuffisant. Pas assez beau, pas assez grand, pas assez mince ou trop maigre, pas assez agile, pas suffisamment patient, moins intelligent que les autres, moins débrouillard ou courageux. Il ressent souvent la sensation de ne jamais être suffisant.

Il souffre de ne pas avoir été vu et d’avoir dû répondre à des attentes élevées, trop élevées, auxquelles il ne pouvait répondre.  Moqué et pas pris au sérieux, il entend encore en lui les rires, les ricanements, les remarques avilissantes qui caractérisent son physique, son caractère, ses intérêts. Il vit amoindri et rampant, blessé par la sensation d’être inférieur tout en recherchant désespérément le regard bienveillant et admiratif qui lui a tant manqué. Il se sent tout petit et ridicule, même s’il est narcissique et parfois exubérant. Il n’est jamais persuadé que ce qu’il pense est intéressant, qu’on ne va pas le moquer ou le dévaloriser.  Cette insécurité fondamentale quant à sa valeur ressort fortement dans les moments difficiles tels que devoir prendre sa place, exprimer ses convictions, exprimer ses besoins.

Lorsqu’il doit se battre pour prendre sa place, il se rigidifie et coupe en lui toute possibilité de ressentir ce manque d’estime de lui.  La réalisation de tâches qui ne sont pas parfaites le fait douter de ses capacités de réussir, le fait de ne pas tout savoir ou tout maîtriser le fait d’avoir envie d’abandonner, la prise en faute réveille également cette haine de lui. Il ne veut surtout pas retoucher le manque d’estime de lui. Face aux difficultés, il juge et dévalorise à son tour, comme il l’a appris dans son milieu familial. Casser, démolir, cadrer, contrôler. L’autre devient scandaleusement imparfait et ne mérite plus de vivre. Il doit être amélioré, corrigé, et il s’agit de lui faire sentir que sa valeur est déterminée par ses failles. 

 

L’abandon et l’abandon de soi

Un enfant ayant souffert d’abandon n’a pas confiance en sa valeur. Il ne se sent pas digne d’amour. Souvent, il a l’impression de tomber dans un trou sans fond n’ayant plus aucun lien humain. Seul et isolé, il apprend à s’occuper de lui, comme si les autres n’existaient pas. Il n’a pas non plus la sensation d’exister pour son entourage et se heurte souvent à l’indifférence. Il ne se sent pas vu, pas entendu, pas écouté.

Ses chagrins sont banalisés, ses difficultés ignorées, sa présence minimisée, comme s’il n’était pas véritablement là. Il le vit comme un rejet de sa personne. Il ne se sent pas avoir d’importance et ne voit pas comment réveiller chez les autres de l’intérêt pour lui, provoquer le lien. En manque de contact physique et d’affection, il cherche les personnes qui peuvent l’aimer et le désirer. Il cherchera aussi à provoquer ce contact physique en existant, parfois à travers des comportements violents qui feront réagir son entourage. Il n’a pas confiance dans les autres, dans le fait qu’il peut avoir de l’effet sur les autres.

 Dans les moments difficiles, il se laisse aller, endort ses émotions, sa colère et disparaît. Il ne sent plus sa peur, ne sent plus la douleur qui réveille l’immense désespoir face à la vie. Il sombre dans l’éloignement des autres qu’il peut ensuite effacer de sa mémoire.  Il se libère de son malheur en coupant le lien. L’autre, les autres n’existent plus : ils ont disparu de la surface de la Terre et l’enfant abandonné vit seul. Il n’existe plus vraiment pour lui-même non plus, ne prend pas soin de lui, de sa santé.

À l’âge adulte, l’enfant abandonné devient cet homme ou cette femme qui part sur la pointe des pieds, qui disparaît quand il y aurait matière à disputes et à conflits. Il ou elle n’est plus là, tout simplement, et l’autre en face reste coi, interloqué, sans comprendre ce qu’il se passe. Il se dit alors qu’il ne mérite pas qu’on entre en conflit avec lui, qu’on lui explique les raisons, qu’on prenne la peine et le temps de l’écouter. 

 

La maltraitance et l’auto-maltraitance

La maltraitance est la plus reconnue de toutes les violences. Chacun connaît cette violence des insultes et des coups. La maltraitance, sous quelque forme qu’elle se présente, physique ou psychologique, engendre la peur chez la personne qui en est victime. Le souvenir des coups, psychologiques ou physiques, est resté en mémoire dans le corps des personnes ayant subi des maltraitances. Ils ont dû se durcir et se renforcer pour avancer dans la vie, mais quelque chose en eux reste terrorisée. Un enfant qui a vécu dans un tel environnement se sent contrôlé même loin du regard et des menaces de ses parents. Il a intégré le danger et la pression à tel point qu’il n’est presque plus nécessaire de les lui rappeler. Il sait comment protéger ses émotions et sa sensibilité en les cachant et en s’éloignant d’eux.

Souvent dur et solide, il cache l’enfant délicat qu’il a été, mais dont les besoins ont été ensevelis sous les attaques. Très sensible à la pression, il se sent conditionné pour répondre aux attentes de l’entourage. Être un bon élève, obéir, être gentil, ne pas faillir, ne pas décevoir, ne pas dépasser. Les conséquences de cette terreur sont l’intériorisation de ces menaces, qu’il ne manque d’ailleurs pas de formuler lorsqu’il se sent en danger. Il maltraite alors à son tour, de manière obsessionnelle, comme pour se désenvoûter du sort de cette condamnation sans fin. Il peut alors oppresser l’autre de manière incessante, mettre la pression pour obtenir réparation, contrôler pour éviter le risque d’être blessé à nouveau. Il menace et effraie avec la voix et le corps tout entier pour s’assurer gain de cause, ne surtout pas être terrorisé à nouveau. Il peut alors stresser et mettre la pression pour diriger les autres pour qu’ils soient à son service, tout comme lui aussi fut l’objet de son entourage.

 

La culpabilisation et l’auto-culpabilisation

Cette lourdeur sur les épaules, parfois avec le mal de dos, exprime la violence subie d’avoir dû porter le monde. L’enfant a dû sauver sa famille, soulager ses parents, consoler sa mère, protéger ses frères et sœurs. Très tôt, il a été rendu responsable du bonheur de son entourage. Il a intégré très tôt que le malheur du monde entier dépendait de lui, uniquement de lui. Non seulement l’enfant culpabilisé se sent responsable, mais en plus, il n’est jamais assez gentil, assez soutenant, assez protecteur, assez consolant. Il est méchant quand il ne parvient pas à remplir la mission secrète que la famille lui assigne, cette mission qu’il remplit en étant dépendant de l’amour qu’on lui porte. « Dressé » avec un amour conditionnel, il sait que prendre cela en charge aux dépens de son bonheur est le prix à payer pour mériter l’amour de ses parents. 

Manipulé afin de remplir cette lourde tâche, il a inscrit en lui une forme de responsabilité qui le juge sévèrement lorsqu’il est confronté à des difficultés et ne parvient pas à remplir ses exigences. Il se sent alors diabolisé. Il s’auto-punit en se condamnant. Il punit les autres en les condamnant à son tour en leur faisant sentir à quel point il est malheureux à cause des autres. Pour certaines personnes, la culpabilisation est le mode de violence « préféré ». Là non plus la personne culpabilisante n’a pas le sentiment d’exercer une violence. Or, ce qu’elle dit à l’autre c’est qu’il est, en quelque sorte, coupable de son malheur, à l’origine de ses insatisfactions.